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Pratique de la dérision pure
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Pratique de la dérision pure
12 avril 2008

NEZ EN L'AIR

« Eh bien, j'ai failli ne pas venir ! Déjà hier il y a eu quelques coups de vent, mais aujourd’hui c’était carrément des rafales: c'est l'escalade de la violence ! Signe des temps ! Passer entre les coups c’est déjà difficile, alors passer entre les rafales demande une célérité qui ne m'est pas coutumière ! J'ai bien cru y rester ! C’est pour cela que j’ai failli ne pas venir.

Heureusement, que j'ai le nez creux, et que j'avais senti le vent venir. Alors j'ai pris des précautions : pour venir, je me suis bien arrimé. Rien de plus facile pour un poète ! (Je dis souvent que je suis poète, ce n’est pas vrai, encore que quelques fois j’y crois moi-même, mais cela embête tellement les gens que je connais...).

Avant, je n'avais pas de nez. Je ne pouvais même plus sentir ma fiancée, pourtant si proche de moi ! Mes projets de mariage ont tourné court. Dommage, car elle a fait un bel héritage depuis ! Ah si j'avais eu le nez plus long à ce moment là !

Je m'en suis consolé (de la fille, pas de la perte de l’héritage), mais néanmoins, j'ai consulté un pro et éminent spécialiste. Je ne pouvais pas me contenter d'un néophyte qui m'aurait tiré un nez comme ça dès qu’il m’aurait vu. Tandis que le spécialiste a été ravi d’avoir à traiter mon cas. Après plusieurs semaines d’examens, et des honoraires presque aussi élevés que ceux d’un animateur de télévision, il m’a tout de suite conseillé l'intervention locale ou l'ablation... J'ai choisi la première solution. Il a donc procédé à une intervention sur mon appendice nasal. Il me l'a bien refait hein ? Il m'a bien refait sous toutes les coutures. Un virtuose ! Les seules cicatrices encore visibles après dix ans sont celles de mon compte en banque ! C'est lui qui a le plus souffert et il ne s’en est pas encore remis. Depuis, je ne peux plus sentir les chirurgiens et je vis de l'air du temps.

Depuis mon opération, je suis à même de mieux sentir venir les choses et d’apprécier plus précisément les distances. Subsistent quelques petits problèmes. Mon nouveau nez vagit quand je me mouche ! Et je me mouche souvent car il coule. Un médecin bien attentionné m'a suggéré d'arrêter de biberonner... c'est vous dire s'il faut être patient avec les médecins, surtout quand ils en tiennent une couche comme celui-là !

Surtout, n'en soufflez mot à personne, car je ne voudrais pas que cela s'évente, mais j'ai l'impression que mon nez me joue des tours ! Il me semble parfois qu'il me donne un drôle d'air. Je ne me sens plus moi-même. Dans ces moments-là, même les gens qui me connaissent bien sont soufflés : ils me disent que j'ai l'air inspiré. C'est vous dire !

Mais avant ma réfection, c’était bien pire. Tenez, j'avais un voisin. Un musicien. Il jouait d'un instrument. A vent. Un instrument à vent qui porte un nom de fruit. Ah oui, du flageolet. D'ailleurs, à la fin, il ne tenait plus sur ses jambes. Le voisin, pas le flageolet. A force de s’époumoner, il a rendu le dernier soupir, phtisique ou poitrinaire, je ne sais plus très bien. Je me demande même s'il n'était pas tuberculeux, mais ça ne me regarde pas.

Au début, je m'entendais bien avec lui. On se tutoyait même. C'était alors un homme très actif. Un jour, le voyant ainsi s'agiter, je m’exclamai : « Maurice, quelle pétulance ! ». Ce qui était plutôt admiratif. (Mais lui avait entendu, je ne sais pour quelle raison : « Quels pets tu lances ! ». Cela, je ne l’ai compris que beaucoup plus tard ).

Alors, c'est là que le vent a tourné. Il m'a regardé d'un air pincé, comme si j'avais dit une incongruité, puis, il m'a jeté sur un ton bien senti :  « Et toi, tu te gênes peut-être  ? ». Et il m'a tourné le dos. Ostensiblement. Le lendemain, il construisait un parapet. Sans mot dire, tout en me maudissant.

Quand j'ai eu vent de l'affaire, par ma femme, qui a toujours une oreille qui traîne (jamais la même car elle est coquette et tient beaucoup à la symétrie de ses organes), je me suis enquis auprès de la sienne, de femme (il faut suivre !) du but de cette construction. Elle-même (attention, je n’ai pas dit « elle m’aime »), ne me parlait plus qu'à demi-mot, et c'est d'un air mi-pomme, mi-rabelle (chez nous, dans l'Est, il n'y a ni figues, ni raisin) qu'elle me jeta (ils jetaient beaucoup dans cette famille) : « C'est pour détourner les vents dominants ! ». J'en suis resté pétrifié !

Alors moi, pour ne pas être en reste, j'ai construit un paravent.

Dès que j'ai eu mon nouveau nez, j'ai compris que l'usine à gaz d'à-côté était pour quelque chose dans notre brouille et j'en ai ressenti une certaine tristesse. Je n'avais pas eu beaucoup de flair dans cette pitoyable affaire !

Depuis, l'usine a fermé ses portes et ses vannes et mon voisin a disparu.

Moi, j'ai planté des roses. Des roses des vents pour qu'elles portent leurs senteurs aux quatre points cardinaux. Maintenant le fond de l'air est frais. Reste à traiter le dessus. Je m'y emploierai, jusqu'à ce que j'expire.

Comme William... ou Ronsard qui aimait tant les roses !

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