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Pratique de la dérision pure
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Pratique de la dérision pure
28 février 2008

MA MODESTIE

 

Quand je pense aux pauvres gens qui ignorent mes mérites, je les plains beaucoup.

Je suis resté très simple. Très nature. J’aime les narcisses, les colchiques, les nœuds papillons, les queues de pie, les aigues-marines, les rivières aux eaux limpides...

Je ne me montre jamais en public avec des gens connus : ma modestie me pousserait à me demander à qui vont les ovations.

Je ne fréquente jamais les grands hôtels, restaurants ou autres lieux publics de luxe : je déteste la familiarité des petits personnels qui se croient obligés de vous appeler par votre titre, votre nom, voire votre prénom, pour épater la galerie, ou pour obtenir un pourboire.

D’ailleurs, je ne donne jamais de pourboire, de peur de donner trop peu en regard de ma condition.

Si les gens connaissaient mes titres, ils seraient confondus de m'avoir adressé la parole et se répandraient en excuses. Aussi, je n'en fais jamais état pour leur éviter cette situation pénible. Enfin j'essaie.

Je déteste signer des autographes. Mais toutefois, comme je ne veux pas pousser les gens au désespoir sans but précis, je porte toujours sur moi du papier et un bic pour le cas où je ne me sentirais pas le droit de refuser.

Quand, dans une réception, des gens feignent de ne pas me reconnaître, je dissimule ma rage derrière un masque de dignité méprisante que je porte haut et fier.

Pour mes déplacements, j'évite autant que possible d'utiliser les voitures officielles car je les trouve trop voyantes pour y déposer ma modestie. Et comme il n’est pas question pour moi d’utiliser les transports en commun, il ne faut pas exagérer la modestie, j’ai un stratagème : j'utilise un vieux vélo. L'inconvénient c'est que je ne sais pas aller droit à cause du guidon qui tourne tout le temps. Alors, je suis arrêté fréquemment par la police, laquelle, évidemment, ne saurait me reconnaître d’emblée en tel équipage. Mais là encore, je ne fais pas état de mes titres car je ne supporte pas les passe-droits.

Une fois l’an, je me contrains, bien qu’il m’en coûte, à me rendre, en même temps que les officiels et la télévision, dans un de ces restaurants du cœur fréquentés par des vedettes en renom, pour y déposer ma contribution personnelle. Dans la limite des déductions fiscales, pour éviter le côté ostentatoire.

Je veux bien rester modeste, mais il faudrait que cela se sache.

Quand je pense à tout ce que je pourrais faire si j’étais moins modeste, j’en suis effrayé.

Il m’arrive de m’envier de m’avoir. Alors, je donne un peu de moi-même. En allant assister à une première par exemple, à une seconde à la rigueur, si on m’y invite.

Dernièrement, j’ai encore refusé un poste pour lequel mes titres professionnels me désignaient sans embages, au profit d’un autre chômeur dont les diplômes étaient, disons « un peu justes ». Toujours à m’effacer devant les autres !

J’ai toujours refusé d’avoir des gens attachés à ma personne. Peut-être parce que je ne suis pas très liant. Mais surtout parce que, sitôt engagés ces gens-là vous demandent des gages. Comme si l’honneur et le plaisir de servir des êtres d’exception ne suffisaient pas à ces personnes retirées du caniveau ou des Assedic. Et puis je trouve qu’avoir des domestiques est un peu ostentatoire et donc contraire à la modestie qui me caractérise. Non, je préfère tout faire moi-même. Mais je porte des gants en caoutchouc pour faire la vaisselle afin de préserver mes mains d’aristocrate.

Faute de temps, j'ai dû confier la réalisation de mon arbre généalogique à un éminent spécialiste inconnu du grand public. Pour l’heure, il n’a pu remonter que jusqu’à mon arrière-grand-père qui est encore vivant d’ailleurs. De ce fait, je ne peux pas faire état de ma noble extraction. J’en rage car j’en suis réduit à accoler le nom de ma femme au mien pour donner le change. Mes ancêtres doivent se retourner dans leur tombeau.

Au fait, il faudra que j’aille vérifier. J’irai au Panthéon, puis au Père Lachaise, pour examiner tous les tombes et tombeaux. C’est bien le diable si je n’y trouve pas un de mes ancêtres. Ou au moins un homonyme qui fera aussi bien l’affaire.

J’aimerais que ma modestie fasse école, hélas, je ne rencontre dans mon milieu que des gens prétentieux que la modestie n’étouffera jamais.

Pas comme la mienne.

Gzormix

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