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Pratique de la dérision pure
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Pratique de la dérision pure
26 novembre 2007

LE LEGISTE LASCIF

Ah quelle belle profession que la mienne !

Ah quelle sinécure !

Quand je pense que j’aurais pu passer ma vie enterré vivant dans un coin perdu comme médecin de campagne ! Ou mourir d’ennui comme médecin du travail où l’on passe des journées entières à attendre le client, lequel en plus ne vous paie pas. D’ailleurs, il n’y a quasiment plus de travail et par suite, plus de travailleurs à ausculter, à part les travailleurs sociaux.

Vraiment, je ne regrette pas d’avoir su sauter à pieds joints sur l’occasion qui m’a été offerte de devenir médecin légiste !

Il n’y a que des avantages.

Les locaux nécessaires à l’exercice de mon sacerdoce sont mis gracieusement à ma disposition. Ils sont parfaitement équipés et si j’ai besoin de quelque chose de particulier, il me suffit de le demander. Je travaille dans une atmosphère très saine, quasiment aseptisée.

Côté chauffage, c’est un peu juste, surtout l’hiver, mais l’été que c’est agréable !

Parfois, au moment de la canicule, à la morte saison, j’invite quelques copains pour casser la croûte, un peu de viande froide et du vin frais et après on tape la carte dans une ambiance très conviviale.

Je n’ai aucun souci d’entretien des locaux. Tout est prévu. Le matin, quand j’arrive, tout est nickel, enfin disons plutôt acier inox. Evidemment, le soir je patauge et les déchets m’encombrent un peu, mais j’ai des bottes.

Aucune peine à trouver des clients. Ils me sont fournis à la pelle... ou à la petite cuillère, par l’Administration. Et quels clients ! Ils sont on ne peut plus patients, attendant leur tour calmement dans un silence... de mort ! Pas de perte de temps pour leurs déshabillage et rhabillage, ils sont en tenue d’auscultation générale. Un rêve pour un médecin de cabinet. Surtout les tenues d’Eve. En plus, une totale soumission à la pratique médicale, sans la moindre réticence. Et, ce qui est très appréciable de nos jours, pas de plaintes, ni pendant, ni après traitement.

Pour meubler le silence que m’impose le mutisme de mes clients, pas besoin d’aller chez BUT, je peux parler tout seul ou mieux, travailler en musique. Cela me donne du cœur au ventre et du rythme dans le mouvement car j’adapte les morceaux –les morceaux de musique cela s’entend– en fonction de ma tâche : musique douce pour les recherches minutieuses, musiques entraînantes pour le gros œuvre. Parfois même, j’esquisse un pas de danse. Vous voyez un médecin de cabinet faire la même chose devant son client !

Et quelle facilité pour rechercher la cause de la présence de mes clients dans mon bloc. On peut aller au fond des choses avec une impunité garantie, découpant, hachant, broyant, sciant, extirpant. Un travail d’artiste, digne de Picasso, Calder et César réunis !

Aucun échec possible. Aucune erreur de diagnostic à craindre, le mal est déjà fait. C’est d’ailleurs le côté négatif du métier. Des gens qui n’ont pas besoin de médecin pour en arriver là où ils sont, c’est frustrant ! Mais tout ne saurait être parfait.

C’est peut-être pour cette raison que les relations avec les clients sont résolument froides, voire glaciales, et très tendues. Mais leur raideur ne m’impressionne pas, je suis très souple. Et malgré leur silence, je sais les faire parler, éventuellement sous la torture. Chaque poussière de ceci, chaque trace de cela, une ecchymose par-ci, un oedème par-là, et ils racontent des tas de choses dont les policiers et les juges sont friands: comment, où, à quelle heure, ou quel jour, voire quelle année, cela s’est passé.

Parfois évidemment, j’ai quelques doutes. Comment détecter par exemple un décès par refroidissement ? Mais, cela n’a pas beaucoup d’importance, surtout pour moi. Lorsque la cause n’est pas claire, « arrêt du cœur » est une formule acceptable, et acceptée. Cent pour cent des gens meurent par arrêt du cœur à un moment ou un autre.

Le soir, après mon travail, pour me divertir, je vais faire un tour aux abattoirs de la ville. Les employés m’aiment bien. Ils m’appellent « cher collègue ». C’est de l’humour vache. J’admire beaucoup leur technique et j’apprends énormément de choses à leur contact. Parfois, je leur donne un coup de main, pour leur montrer mon savoir-faire, l’ambiance y est bon enfant. Certains m’ont proposé de venir m’aider à leur tour, mais quand je leur ai dit que je n’avais pas de crochets pour suspendre, ils ont été déroutés et ils ont renoncé.

J’ai vraiment un métier en or. C’est d’ailleurs en cette monnaie que l’on me paie. Si je le voulais, je pourrais augmenter mes revenus déjà substantiels par quelques expédients. Faire du travail au noir, par exemple, mais là, j’aurais des clients vivants avec qui je devrais traiter, et si j’ai pris ce travail, c’est justement parce que j’en avais assez des clients, toujours contrariants. J’ai été contacté par un éleveur de chiens qui voulait acheter des restes, mais moi, je ne mange pas de ce pain là. Alors, je me contente de ce que me rapporte mon travail régulier, pour une sérénité complète.

Bon, je vous quitte car aujourd’hui, j’ai du pain sur la planche !

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